Cependant, maître Joseph s’était assis, non à la table de M. Verduret, mais à la table voisine, et il avait demandé un verre d’absinthe qu’il préparait lentement, laissant l’eau tomber goutte à goutte de très-haut, selon la formule.
— Parle ! lui dit M. Verduret.
— Pour commencer, patron, je dois vous avouer que tout n’est pas roses dans le métier de valet de chambre-cocher de M. de Clameran.
— Au fait ! au fait ! tu te plaindras demain.
— Bon, j’y suis. Donc, hier, mon bourgeois est sorti à pied sur les deux heures. Comme de juste, je l’ai suivi. Savez-vous où il allait ? La bonne farce ! Il se rendait au Grand-Archange, au rendez-vous de la petite dame.
— Va donc ; on lui a dit qu’elle était partie. Après ?
— Après ! Ah ! il n’était pas content du tout ; je vous assure. Il est rentré tout courant à l’hôtel, où l’autre, M. Raoul de Lagors, l’attendait. Non, vrai, cet homme-là n’a pas son pareil pour jurer. Le Raoul lui a demandé ce qu’il y avait de nouveau qui le mettait si fort en colère. « — Il n’y a rien, a répondu mon bourgeois ; rien, sinon que la coquine a décampé, qu’on ne sait où elle est, qu’elle nous glisse entre les doigts. » Alors, ils ont paru très-vexés et très-inquiets tous les deux. « — Sait-elle donc quelque chose de sérieux ? a demandé Lagors. — Elle ne sait rien que ce que je t’ai dit, a fait Clameran, mais ce rien tombant dans l’oreille d’un homme ayant du flair peut mettre sur la trace de la vérité. »
M. Verduret sourit, en homme qui avait ses raisons pour apprécier à leur juste valeur les craintes de M. de Clameran.
— Eh ! fit-il, sais-tu qu’il n’est pas absolument dépourvu d’intelligence, ton bourgeois ? Et ensuite ?
— Là-dessus, patron, voilà le Lagors qui devient vert, et qui s’écrie : « — Si c’est si grave, il faut se défaire de cette gueuse ! » Il va bien, le petit ! Mais mon bourgeois s’est mis à rire et à hausser les épaules. « — Tu n’es qu’un niais, a-t-il répondu, quand on est importuné par