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À mesure que parlait M. Verduret, Prosper sentait se fondre ses résolutions de révolte, l’espoir et la confiance lui revenaient.

— Si vous disiez vrai, pourtant, murmurait-il, si vous disiez vrai !…

— Malheureux jeune homme ! pourquoi vous obstiner à fermer les yeux à l’évidence ! Vous ne comprenez donc pas que Madeleine sait le nom du voleur.

— C’est impossible.

— C’est vrai. Mais ce nom, croyez-le bien, il n’est pas de puissance humaine capable de le lui arracher. Oui, elle vous sacrifie, mais elle en a presque le droit, puisqu’elle s’est d’abord sacrifiée elle-même.

Prosper était vaincu, mais il ne pouvait, sans que son cœur se brisât, quitter ce salon, où Madeleine lui était apparue.

— Hélas ! s’écria-t-il, en serrant la main de M. Verduret, je dois vous paraître insensé, ridicule… C’est que vous ne savez pas, non, vous ne pouvez savoir ce que je souffre…

L’homme aux favoris roux hocha tristement la tête ; en un moment, sa physionomie changea, ses yeux si brillants se voilèrent, sa voix trembla.

— Ce que vous souffrez, répondit-il, je l’ai souffert. Comme vous, j’ai aimé, non une noble et pure jeune fille, mais une fille. Pendant trois ans, j’ai été à ses pieds. Puis, un jour, tout à coup, elle m’a quitté, moi qui l’adorais, pour se jeter dans les bras d’un homme qui la méprisait. Alors, comme vous, j’ai voulu mourir. Malheureuse ! Ni les larmes ni les prières n’ont pu la ramener à moi. La passion ne se raisonne pas, elle aimait cet autre.

— Et vous le connaissiez, cet autre ?

— Je le connaissais.

— Et vous ne vous êtes pas vengé !…

— Non, répondit M. Verduret. Et d’un ton singulier il ajouta : le hasard s’est chargé de ma vengeance.

Pendant plus d’une minute, Prosper garda le silence.