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mense. De grosses larmes roulaient silencieuses le long de ses joues.

— Je vous avais dit d’oublier, murmura-t-elle.

— Oublier ! reprit Prosper, révolté comme s’il eût entendu un blasphème, oublier ! Eh ! le puis-je ? Est-ce qu’il est en mon pouvoir d’arrêter, par le seul effort de ma volonté, la circulation de mon sang ? Ah ! vous n’avez jamais aimé. Pour oublier, comme pour arrêter les battements de mon cœur, il n’est qu’un moyen… mourir.

Ce mot, ainsi prononcé, avec l’accent d’une résolution farouche, bouleversa Madeleine.

— Malheureux ! s’écria-t-elle.

— Oui, malheureux ! Plus malheureux mille fois que vous ne sauriez l’imaginer ! Vous ne comprendrez jamais mes tortures, depuis un an que chaque matin il me faut pour ainsi dire rapprendre mon malheur, et me dire : C’en est fait, elle ne m’aime plus ! Que parlez-vous d’oubli ! Je l’ai cherché au fond des coupes empoisonnées, je ne l’ai pas trouvé. J’ai essayé d’éteindre ce souvenir du passé qui brûlait en moi d’une flamme dévorante ; en vain. Quand le corps succombait, la pensée implacable veillait encore. Vous voyez bien que j’ai dû songer au repos, c’est-à-dire au suicide.

— Je vous défends de prononcer ce mot.

— On n’a rien à défendre à celui qu’on n’aime plus, Madeleine, ne le savez-vous pas ?

D’un geste impérieux, Madeleine l’interrompit, comme si elle eût voulu parler, et, qui sait ? tout expliquer, se disculper.

Mais une réflexion soudaine l’arrêta ; elle eut un mouvement désespéré et s’écria :

— Mon Dieu ! c’est trop souffrir !

— Prosper parut se méprendre au sens de cette exclamation.

— Votre pitié vient trop tard, reprit-il avec une déchirante résignation. Il n’est plus de bonheur possible pour celui qui, comme moi, a entrevu des félicités divines. Rien ne saurait m’attacher à la vie. Vous avez tué