nous sommes presque brouillés. Voici un mois au moins que je n’ai mis les pieds chez lui ; mais j’ai eu de ses nouvelles…
— Par qui ?
— Par ton protégé, le jeune Cavaillon. Mon oncle, depuis l’affaire, est, à ce qu’il paraît, plus consterné que toi. C’est à peine si on le voit dans les bureaux, on dirait qu’il relève de quelque terrible maladie.
— Et Mme Fauvel, et… — le caissier hésita — et Mlle Madeleine.
— Oh ! fit Raoul d’un ton léger, ma tante est toujours dévote ; elle fait dire des messes à l’intention du coupable. Quant à ma belle et glaciale cousine, elle ne saurait s’occuper de détails vulgaires, toute absorbée qu’elle est par les préparatifs du bal travesti que donnent après-demain MM. Jandidier. Elle a déniché, m’a dit une de ses amies, une couturière de génie, inconnue, qui lui fait un costume de fille d’honneur de Catherine de Médicis, qui est une merveille.
Il est certain que l’excès même de la souffrance, engourdissant la pensée, amène une sorte d’insensibilité. Prosper avait terriblement souffert, cependant ce dernier coup l’atterra.
— Madeleine !… murmura-t-il, Madeleine !…
M. de Lagors ne crut pas devoir remarquer l’exclamation ; il s’était levé.
— Il faut que je te quitte, mon cher Prosper, dit-il ; samedi, je verrai ces dames au bal, et je te donnerai des nouvelles. D’ici là, du courage et souviens-toi que, quoi qu’il arrive, tu peux compter sur moi.
Une dernière fois, Raoul serra les mains de Prosper avant de se retirer. Il devait être déjà dans la rue que le malheureux caissier restait encore debout à la même place, immobile, anéanti.
Il fallut, pour le tirer de ses sombres méditations, la voix railleuse de l’homme aux favoris roux, qui était venu se placer devant lui.
— Voilà les amis ! disait M. Verduret.