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Mme Gypsy avait bien huit ou dix minutes d’avance, mais il ratrappa lestement sa distance. Il avait pris, au pas de course, la route que la jeune femme devait avoir suivie, et il la rejoignit vers le milieu du pont au Change.

Elle allait d’une allure indécise, tantôt très vite, tantôt à petits pas, en personne qui, impatiente de se rendre à un rendez-vous, est partie trop tôt et cherche à user le temps.

Sur la place du Châtelet, elle fit deux ou trois tours, s’approcha des affiches du théâtre, s’assit un moment sur un banc, et enfin, à neuf heures moins un quart, à peu près, elle alla s’installer sur une des banquettes du bureau des omnibus.

Une minute après elle, Fanferlot entra. Mais, comme en dépit de sa barbe épaisse il redoutait l’œil de madame Gypsy, il alla se placer de l’autre côté du bureau, dans l’ombre.

— Singulier lieu de rencontre ! pensait-il, tout en étudiant la jeune femme. Mais qui peut lui avoir donné ce rendez-vous ? À la curiosité que je lis dans ses yeux, à son inquiétude évidente, je jurerais qu’elle ignore qui elle attend !

Le bureau, cependant était plein de monde. À toute minute, des employés criaient la destination d’un omnibus qui arrivait. Quantité de gens entraient et sortaient, qui réclamaient des numéros ou changeaient leurs correspondances.

À chaque nouvel arrivant, Gypsy tressaillait et Fanferlot se disait : « Est-ce celui-là ? »

Enfin, au moment où neuf heures sonnaient à l’Hôtel-de-Ville, un personnage entra, qui, sans demander de numéro au bureau, marcha droit à Mme Gypsy, la salua et s’assit près d’elle.

C’était un homme de taille moyenne, assez gros, portant d’épais favoris d’un blond ardent sur une figure enluminée. Sa mise, qui était celle de tous les négociants aisés, n’offrait rien de remarquable, pas plus d’ailleurs que sa personne.