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Le vieux juge de paix avait un sourire d’indulgence.

— D’ordinaire, poursuivit l’homme de la préfecture, je n’ouvre la bouche que lorsque mon siége est fait, et alors d’un ton péremptoire je rends mes oracles, je dis : c’est ceci ou c’est cela. Mais aujourd’hui j’agis, sans trop me contraindre, devant un homme qui sait qu’on ne résout pas du premier coup un problème aussi compliqué que me semble être celui-ci. Je laisse voir sans vergogne mes tâtonnements. On ne parvient pas à la vérité d’un bond, on y arrive par une suite de calculs assez compliqués grâce à une série d’inductions et de déductions qui s’enchaînent. Eh bien, en ce moment, ma logique est en défaut.

— Comment cela ? demanda le père Plantat.

— Oh ! c’est fort simple, monsieur le juge de paix. Je croyais avoir pénétré les assassins, les savoir par cœur, ce qui est capital au début, et je ne reconnais plus les adversaires imaginés. Sont-ils idiots, sont-ils extrêmement fins ? J’en suis à me le demander. La ruse du lit et de la pendule m’avait, à ce que je supposais, exactement donné la mesure et la portée de leur intelligence et de leurs inventions. Déduisant du connu à l’inconnu, j’arrivais par une suite de conséquences très-simples à tirer, à prévoir tout ce qu’ils avaient pu imaginer pour détourner notre attention et nous dérouter. Mon point de départ admis, je n’avais, pour tomber juste, qu’à prendre le contrepied des apparences. Je me disais :

On a retrouvé une hache au deuxième étage, donc les assassins l’y ont portée et oubliée à dessein.

Ils ont laissé cinq verres sur la table de la salle à manger, donc ils étaient plus ou moins de cinq, mais ils n’étaient pas cinq.

Il y avait sur la table comme les restes d’un souper, donc ils n’ont ni bu ni mangé.

Le cadavre de la comtesse était au bord de l’eau, donc il a été déposé là et non ailleurs avec préméditation.

On a retrouvé un morceau d’étoffe dans les mains de