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sensé, eh bien, je suis surpris qu’il ne soit pas plus affreux encore. Je suis, autant dire, un vieillard, je n’ai plus l’énergie physique d’un homme de trente-cinq ans, et pourtant, il me semble que si des assassins pénétraient chez moi, lorsque je suis encore debout, ils n’auraient pas raison de moi. Je ne sais ce que je ferais, je serais tué probablement, mais certainement je réussirais à donner l’éveil. Je me défendrais, je crierais, j’ouvrirais les fenêtres, je mettrais le feu à la maison.

Qu’eussiez-vous dit, justiciables d’Orcival, s’il vous eût été donné de voir l’animation, l’emportement de votre impassible juge de paix !

— Ajoutons, insista le docteur, qu’éveillé il est difficile d’être surpris. Toujours quelque bruit insolite prévient. C’est une porte qui crie en tournant sur ses gonds, c’est une des marches de l’escalier qui craque. Si habile que soit un meurtrier, il ne foudroie pas sa victime.

— Il se peut, insinua M. Courtois, qu’on se soit servi d’armes à feu. Cela s’est vu. Vous êtes bien tranquillement assis dans votre chambre ; on est en été, vos fenêtres sont ouvertes, vous causez avec votre femme tout en prenant une tasse de thé ; au dehors, les malfaiteurs se font la courte échelle ; l’un d’eux arrive à la hauteur de l’appui de la fenêtre, il vous ajuste à son aise, il presse la détente, le coup part…

— Et, continua le docteur, tout le voisinage réveillé accourt.

— Permettez, permettez, riposta M. Courtois, à la ville, dans une cité populeuse, oui. Là, au milieu d’un vaste parc, non. Songez, docteur, à l’isolement de cette habitation. La plus voisine des maisons habitées est celle de Mme  la comtesse de Lanascol, et encore est-elle distante de plus de cinq cents mètres, et par-dessus le marché, environnée de grands arbres qui interceptent le son et s’opposent à sa propagation. Tentons l’expérience. Je vais, si vous le voulez, tirer un coup de pistolet, ici, dans cette chambre, et je parie que vous n’entendrez pas la détonation dans le chemin.