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draient une face blême, bouffie de mauvaise graisse. Ses gros yeux à fleur de tête semblaient figés dans leur bordure rouge. Un sourire candide s’épanouissait sur ses lèvres épaisses qui, en s’entr’ouvrant, découvraient une rangée de longues dents jaunes.

Sa physionomie, d’ailleurs, n’exprimait rien de précis. C’était un mélange à doses à peu près égales de timidité, de suffisance et de contentement.

Impossible d’accorder la moindre intelligence au porteur d’une telle figure. Involontairement, après l’avoir regardé, on cherchait le goitre.

Les merciers au détail qui, après avoir volé trente ans sur leurs fils et sur leurs aiguilles, se retirent avec dix-huit cents livres de rentes, doivent avoir cette tête inoffensive.

Son costume était aussi terne que sa personne.

Sa redingote ressemblait à toutes les redingotes, son pantalon à tous les pantalons. Un cordon de crin, du même blond que ses favoris, retenait la grosse montre d’argent qui gonflait la poche gauche de son gilet.

Il manœuvrait tout en causant une bonbonnière de corne transparente, pleine de petits carrés de pâtes, réglisse, guimauve et jujube, et ornée d’un portrait de femme très-laide et très-bien mise ; le portrait de la défunte, sans doute.

Et selon les hasards de la conversation, suivant qu’il était satisfait ou mécontent, M. Lecoq gobait un carré de pâte ou adressait au portrait un regard qui était tout un poème.

Ayant longuement détaillé l’homme, le juge d’instruction haussa les épaules.

— Enfin, dit M. Domini, — et cet enfin répondait à sa pensée intime, — nous allons, puisque vous voici, vous expliquer ce dont il s’agit.

— Oh ! inutile, répondit M. Lecoq avec un petit air suffisant, parfaitement inutile.

— Il est cependant indispensable que vous sachiez…

— Quoi ? ce que sait monsieur le juge d’instruction ?