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V


L’escalier avait été consigné, mais le vestibule était resté libre. On y entendait des allées et des venues, des piétinements, des chuchottements étouffés ; puis, dominant ce bourdonnement continu, les exclamations et les jurements des gendarmes essayant de contenir la foule.

De temps à autre, une tête effarée se glissait le long de la porte de la salle à manger restée entrebâillée. C’était quelque curieux qui, plus hardi que les autres, voulait voir manger les « gens de la justice » et essayait de surprendre quelques paroles pour les rapporter et s’en faire gloire.

Mais les « gens de justice » — pour parler comme à Orcival, — se gardaient bien de rien dire de grave, portes ouvertes, en présence d’un domestique circulant autour de la table pour le service.

Très-émus de ce crime affreux, inquiets du mystère qui recouvrait encore cette affaire, ils renfermaient et dissimulaient leurs impressions. Chacun, à part soi, étudiait la probabilité de ses soupçons et gardait sa pensée intime.

Tout en mangeant, M. Domini mettait de l’ordre dans ses notes, numérotant les feuilles de papier, marquant d’une croix certaines réponses des inculpés particulièrement significatives et qui devaient être comme les bases de son rapport.

Il était peut-être le moins tourmenté des quatre convives de ce lugubre repas. Ce crime ne lui semblait pas de ceux qui font passer des nuits blanches aux juges d’instruction. Il en voyait nettement le mobile, ce qui est énorme, et il tenait La Ripaille et Guespin, deux coupables ou tout au moins complices.