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C’est sans broncher que le prévenu accueillit cette menace.

On le conduisit à la salle où on avait déposée la comtesse. Là, il examina le cadavre d’un œil froid et calme. Il dit seulement :

— Elle est plus heureuse que moi ; elle est morte, elle ne souffre plus, et moi qui ne suis pas coupable, on m’accuse de l’avoir tuée.

M. Domini tenta encore un effort.

— Voyons, Guespin, dit-il, si d’une manière quelconque vous avez eu connaissance de ce crime, je vous en conjure, dites-le-moi. Si vous connaissez les meurtriers, nommez-les-moi. Tâchez de mériter quelque indulgence par votre franchise et votre repentir.

Guespin eut le geste résigné des malheureux qui ont pris leur parti.

— Par tout ce qu’il y a de plus saint au monde, répondit-il, je suis innocent. Et pourtant, je vois bien que si on ne trouve pas les coupables, c’en est fait de moi.

Les convictions de M. Domini se formaient et s’affermissaient peu à peu. Une instruction n’est pas une œuvre aussi difficile qu’on pourrait se l’imaginer. Le difficile, le point capital est de saisir au début, dans un écheveau souvent fort embrouillé, le maître bout de fil, celui qui doit mener à la vérité à travers le dédale de ruses, de réticences, de mensonges du coupable.

Ce fil précieux, M. Domini était certain de le tenir. Ayant un des assassins, il savait bien qu’il aurait les autres. Nos prisons où on mange de bonne soupe, où les lits ont un bon matelas, délient les langues tout aussi bien que les chevalets et les brodequins du moyen âge.

Le juge d’instruction remit Guespin au brigadier de gendarmerie, avec l’ordre de ne pas le perdre de vue. Il envoya ensuite chercher le vieux La Ripaille.

Ce bonhomme n’était pas de ceux qui se troublent. Tant de fois il avait eu maille à partir avec la justice qu’un interrogatoire de plus le touchait médiocrement.