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— Je vous préviens dans votre intérêt, reprit le juge, que, si vous persistez à ne pas répondre, les charges qui pèsent sur vous sont telles que je vais être forcé de vous faire arrêter comme prévenu d’assassinat sur la personne du comte et de la comtesse de Trémorel.

Cette menace parut faire sur Guespin un effet extraordinaire. Deux grosses larmes emplirent ses yeux secs et brillants jusque-là, et roulèrent silencieuses le long de ses joues. Son énergie était à bout, il se laissa tomber à genoux en criant :

— Grâce ! je vous en prie, monsieur, ne me faites pas arrêter, je vous jure que je suis innocent, je vous le jure !

— Parlez alors.

— Vous le voulez, fit Guespin en se relevant.

Mais changeant de ton subitement :

— Non ! s’écria-t-il, en tapant du pied dans un accès de rage, non, je ne parlerai pas, je ne peux pas… Un seul homme pouvait me sauver, c’est monsieur le comte et il est mort. Je suis innocent, et cependant si on ne trouve pas les coupables, je suis perdu. Tout est contre moi, je le sens bien… Et maintenant, allez, faites de moi ce que vous voudrez, je ne prononcerai plus un mot.

La résolution de Guespin, résolution qu’affirmait son regard, ne surprit nullement le juge d’instruction.

— Vous réfléchirez, dit-il simplement, seulement lorsque vous aurez réfléchi je n’aurai plus en vos paroles la confiance que j’y aurais en ce moment. Il se peut — et le juge scanda ses mots comme pour leur donner une valeur plus forte et faire luire aux yeux du prévenu un espoir de pardon, — il se peut que vous n’ayez eu à ce crime qu’une part indirecte, en ce cas…

— Ni indirecte, ni directe, interrompit Guespin, et il ajouta avec violence : Malheur ! être innocent et ne pouvoir se défendre !

— Puisqu’il en est ainsi, reprit M. Domini, il doit vous être indifférent d’être mis en présence du corps de Mme  de Trémorel ?