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le sang revenait à ses joues, tout en répondant, il réparait le désordre de ses vêtements.

— Vous savez, commença le juge, les événements de cette nuit ? Le comte et la comtesse de Trémorel ont été assassinés. Parti hier avec tous les domestiques du château, vous les avez quittés à la gare de Lyon, vers neuf heures, vous arrivez maintenant seul. Où avez-vous passé la nuit ?

Guespin baissa la tête et garda le silence.

— Ce n’est pas tout, continua le juge, hier vous étiez sans argent, le fait est notoire, un de vos camarades vient de l’affirmer ; aujourd’hui on retrouve dans votre porte-monnaie une somme de cent soixante-sept francs. Où avez-vous pris cet argent ?

Les lèvres du malheureux eurent un mouvement comme s’il eût voulu répondre, une réflexion subite l’arrêta, il se tut.

— Autre chose, encore, poursuivit le juge, qu’est-ce que cette carte d’un magasin de quincaillerie qui a été trouvée dans votre poche.

Guespin fit un geste désespéré et murmura :

— Je suis innocent.

— Remarquez, fit vivement le juge d’instruction, que je ne vous ai point accusé encore. Vous saviez que le comte avait reçu dans la journée une somme importante.

Un sourire amer plissa les lèvres de Guespin, et il répondit :

— Je sais bien que tout est contre moi.

Le silence était profond dans le salon. Le médecin, le maire et le père Plantat, saisis d’une curiosité passionnée, n’osaient faire un mouvement. C’est qu’il n’est peut-être rien d’émouvant, au monde, autant que ces duels sans merci entre la justice et l’homme soupçonné d’un crime. Les questions peuvent sembler insignifiantes, les réponses banales ; questions et réponses enveloppent des sous-entendus terribles. Les moindres gestes alors, les plus rapides mouvements de physionomie peuvent ac-