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mémoire, et cruels comme des remords avivaient son désespoir. Son cœur se fondait en songeant à ses amitiés d’autrefois, à sa mère, à sa sœur, aux fiertés de son innocence, aux joies pures du foyer paternel.

À demi renversée sur un divan du cabinet d’Hector, elle pleurait à chaudes larmes, librement.

Elle pleurait sa vie brisée à vingt ans, sa jeunesse perdue, ses radieuses espérances évanouies, l’estime du monde, sa propre estime à elle-même, qu’elle ne retrouverait jamais.

Tout à coup la porte du cabinet s’ouvrit avec bruit.

Laurence crut que c’était Hector qui rentrait, et brusquement elle se leva, passant son mouchoir sur ses yeux pour essayer de cacher ses larmes.

Sur le seuil, un homme qu’elle ne connaissait pas — M. Lecoq — s’inclinait respectueusement.

Elle eut peur. Tant de fois depuis deux jours Trémorel lui avait répété : « On nous poursuit, cachons-nous bien, » qu’alors même qu’il lui semblait qu’elle n’avait plus rien à redouter, elle tremblait sans savoir pourquoi.

— Qui êtes-vous ? demanda-t-elle d’un ton hautain, qui vous a permis de pénétrer jusqu’ici, que voulez-vous ?

M. Lecoq est un de ces hommes qui ne laissent rien au hasard de l’inspiration, qui prévoient tout, qui règlent les actions de la vie comme les scènes du théâtre. Il s’attendait à cette colère légitime, à ces questions, et il avait ménagé son effet.

Pour toute réponse, il fit un pas de côté, démasquant ainsi le père Plantat placé derrière lui.

En reconnaissant son vieil ami, Laurence éprouva un si rude choc, qu’en dépit de sa vaillance elle faillit se trouver mal.

— Vous, balbutia-t-elle, vous !…

Le vieux juge de paix était, s’il se peut, plus ému qu’elle encore. Était-ce vraiment sa Laurence, qui était là devant lui ? Le chagrin avait si bien fait son œuvre