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taille, monsieur, dépend de la précision de nos mouvements. Une seule faute et toutes mes combinaisons échouent misérablement et je suis forcé d’arrêter et de livrer à la justice le prévenu. Il nous faut dix minutes d’entretien avec Mlle Laurence, mais non beaucoup plus, et il est absolument nécessaire que cet entretien soit brusquement interrompu par le retour de Trémorel. Établissons donc nos calculs. Il faut à ce gredin trente minutes pour aller rue des Saints-Pères où il ne trouvera personne ; autant pour revenir ; mettons quinze minutes perdues ; en tout une heure et quart. C’est encore quarante minutes de patience.

Le père Plantat ne répondit pas, mais M. Lecoq comprit qu’il lui serait impossible de rester si longtemps debout, après les fatigues de la journée, ému comme il l’était et n’ayant rien pris depuis la veille. Il l’entraîna donc dans un café voisin et le força de tremper un biscuit dans un verre de vin. Puis, sentant bien que toute conversation serait importune à cet homme si malheureux, il prit un journal du soir et bientôt parut absorbé par les nouvelles d’Allemagne.

La tête renversée sur le dossier de la banquette de velours, l’œil perdu dans le vide, le vieux juge de paix repassait dans son esprit les événements de ces quatre années qui venaient de s’écouler. Il lui semblait que c’était hier que Laurence, encore enfant, venait courir sur la pelouse de son jardin et ravager ses rosiers. Comme elle était jolie, déjà, et quelle divine expression avaient ses grands yeux ! Puis, du soir au matin, pour ainsi dire, comme une rose que fait épanouir une nuit de juin, la jolie enfant était devenue la radieuse jeune fille. Mais timide et réservée avec tous, elle ne l’était pas avec lui. N’avait-il pas été son vieil ami, le confident de ses petits chagrins et de ses innocentes espérances. Combien elle était candide et pure, alors ; quelle divine ignorance du mal !…

Neuf heures sonnèrent, M. Lecoq déposa son journal sur la table.