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Aussitôt, ils traversèrent le carrefour et entrèrent chez le marchand de vins établi au coin de la rue des Martyrs.

Debout derrière son comptoir d’étain, occupé à verser dans des litres le contenu d’un énorme broc, le patron ne sembla pas médiocrement étonné de voir s’aventurer dans sa boutique deux hommes qui paraissaient appartenir à la classe élevée de la société. Mais M. Lecoq, comme Alcibiade, est partout chez lui et parle la langue technique de tous les milieux où il pénètre.

— N’avez-vous pas chez vous, demanda-t-il au marchand de vins, une société de huit ou dix hommes qui en attendent d’autres.

— Oui, monsieur, ces messieurs sont arrivés il y a une heure environ.

— Ils sont dans le grand cabinet du fond ? n’est-ce pas.

— Précisément, monsieur, répondit le débitant devenu subitement obséquieux.

Il ne savait pas précisément quel personnage l’interrogeait, mais il avait flairé quelque agent supérieur de la préfecture de police.

Dès lors, il ne fut point surpris de voir que ce monsieur si distingué connaissait, comme lui-même, les êtres de sa maison et ouvrait sans hésitation la porte du cabinet indiqué.

Dans ce grand compartiment du fond, séparé des autres par une simple cloison de verre dépoli, dix hommes à tournures variées buvaient en maniant des cartes grasses.

À l’entrée de M. Lecoq et du père Plantat, ils se levèrent respectueusement et ceux qui avaient conservé leur coiffure, chapeau ou casquette, la retirèrent.

— Bien, M. Job, dit l’agent de la sûreté à celui qui paraissait le chef de la troupe, vous êtes exact, je suis content. Vos six hommes me suffiront amplement, puisque je vois là mes trois commissionnaires de ce matin.

M. Job s’inclina, heureux d’avoir satisfait un maître qui n’est pas prodigue de témoignages d’approbation.