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Loin de fondre en larmes, Jenny Fancy eut un éclat de rire stupide.

— C’est bien fait pour Trémorel, dit-elle ; pourquoi m’a-t-il quittée ; c’est bien fait pour elle aussi…

— Comment pour elle aussi ?

— Bien sûr ! Pourquoi trompait-elle son mari, un charmant garçon ? C’est elle qui m’a enlevé Hector. Une femme mariée et riche ! Hector n’est qu’un misérable, je l’ai toujours dit.

— Franchement, c’était aussi mon avis. Quand un homme, voyez-vous, se conduit comme Trémorel s’est conduit avec vous, il est jugé.

— N’est-ce pas ?

— Parbleu ! Aussi ne suis-je pas surpris de sa conduite. Car, sachez-le, avoir assassiné sa femme est le moindre de ses crimes. Ne voilà-t-il pas qu’il essaye de rejeter son meurtre sur un autre.

— Cela ne m’étonne pas.

— Il accuse un pauvre diable, innocent, dit-on, comme vous et moi, et qui cependant sera peut-être condamné à mort faute de pouvoir dire où il a passé la soirée et la nuit de mercredi à jeudi.

M. Lecoq avait prononcé cette phrase d’un ton léger, mais avec une lenteur calculée, afin de bien juger de l’impression qu’elle produirait sur Fancy. L’effet fut si terrible qu’elle chancela.

— Savez-vous quel est cet homme ? demanda-t-elle d’une voix tremblante.

— Les journaux disent que c’est un pauvre garçon qui était jardinier chez lui.

— Un petit, n’est-ce pas ? maigre, très-brun avec des cheveux noirs et plats ?

— Précisément.

— Et qui s’appelle…, attendez donc… qui s’appelle… Guespin.

— Ah ça, vous le connaissez donc ?

Miss Fancy hésitait. Elle était fort tremblante, on voyait qu’elle regrettait de s’être tant avancée.