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— Au fait, au fait, insista M. Lecoq.

— La vérité est que j’ai eu le plaisir de voir miss Jenny Fancy avant-hier.

— Vous plaisantez.

— Pas le moins du monde. Et même, à ce propos laissez-moi vous dire que c’est une bien brave et bien honnête personne.

— Vraiment !

— C’est comme cela. Imaginez-vous qu’elle me devait 480 francs depuis plus de deux ans. Naturellement, comme bien vous pensez, j’avais mis un P sur cette créance et je n’y songeais plus guère. Mais voilà qu’avant-hier, ma Fancy m’arrive toute pimpante, qui me dit : « J’ai fait un héritage, Mme  Charman, j’ai de l’argent et je vous en apporte. » Et elle ne plaisantait pas, elle avait plein son porte-monnaie de billets de banque, et j’ai été payée intégralement.

Et comme l’agent de la sûreté se taisait, elle ajouta avec une conviction profonde et attendrie :

— Bonne fille, va ! Digne créature !…

À cette déclaration de la marchande, M. Lecoq et le père Plantat avaient échangé un coup d’œil. La même idée leur venait à tous deux en même temps.

Cet héritage annoncé par miss Fancy, tous ces billets de banque, ne pouvaient être que le prix d’un grand service rendu par elle à Trémorel.

Cependant l’agent de la sûreté voulut avoir des renseignements plus positifs.

— Dans quelle position était cette fille avant cette succession ? demanda-t-il.

— Ah ! monsieur, dans une position affreuse, allez. Depuis que son comte l’a quittée et qu’elle a mangé son saint-frusquin dans les modes, elle a été toujours en dégringolant. Une personne que j’ai vue si comme il faut, autrefois. Après cela, vous savez, quand une femme a des peines de cœur ! Tout ce qu’elle possédait elle l’a mis au clou ou vendu loque à loque. Dans ces derniers temps, elle fréquentait la plus mauvaise société, elle bu-