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certaine distinction et porte invariablement, été comme hiver, une robe de soie noire. Elle possède un mari, assure-t-on, mais personne jamais ne l’a vu, ce qui n’empêche pas que sa conduite est, au dire de son portier, au-dessus du soupçon.

Si honorable cependant que soit la profession de madame Charman, elle a eu plus d’une fois affaire à M. Lecoq, elle a besoin de lui et le craint comme le feu.

Aussi accueillit-elle l’agent de la sûreté et son compagnon — qu’elle prit pour un collègue, bien entendu — un peu comme un surnuméraire accueillerait son directeur venant le visiter.

Elle les attendait. À leur coup de sonnette, elle accourut au-devant d’eux jusque dans son antichambre, gracieuse, respectueuse, le sourire aux lèvres. Elle disputa à sa bonne l’honneur de les faire passer dans son salon, elle leur avança les meilleurs fauteuils et même leur offrit quelques rafraîchissements, la moindre des choses.

— Je vois, chère madame, commença M. Lecoq, que vous avez reçu mon petit mot.

— Oui, monsieur, ce matin de très-bonne heure, j’étais même encore au lit.

— Très-bien. Et avez-vous été assez complaisante pour vous inquiéter de ma commission ?

— Ciel ! M. Lecoq, pouvez-vous bien me demander cela, quand vous savez que j’aimerais à passer dans le feu pour vous ! Je m’en suis occupée à l’instant même, je me suis levée tout exprès.

— Alors vous avez découvert l’adresse de Pélagie Taponnet, dite Jenny Fancy.

Mme  Charman crut devoir dessiner la plus gracieuse de ses révérences.

— Oui, monsieur, oui, répondit-elle, soyez satisfait. Si j’étais femme à me faire valoir hors de propos, je pourrais vous dire que j’ai eu un mal infini à me procurer cette adresse, que j’ai couru tout Paris, que j’ai dépensé dix francs de voitures, je mentirais.