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qu’avant sa faute, car alors je l’aimais sans espoir, tandis que maintenant…

Il s’arrêta, épouvanté de ce qu’il allait dire. Il baissait les yeux sous le regard de l’agent de la sûreté, rougissant de cet espoir honteux et pourtant si humain qu’il venait de laisser entrevoir.

— Vous savez tout, maintenant, reprit-il d’un ton plus calme ; consentirez-vous à m’assister. Ah ! si vous vouliez m’aider, je ne croirais pas m’acquitter envers vous en vous donnant la moitié de ma fortune, et je suis riche…

M. Lecoq l’arrêta d’un geste impérieux.

— Assez, monsieur, dit-il d’un ton amer, assez, de grâce. Je puis rendre un service à un homme que j’estime, que j’aime, que je plains de toute mon âme, mais ce service je ne saurais le lui vendre.

— Croyez, balbutia le père Plantat interdit, que je ne voulais pas…

— Si, monsieur, si, vous vouliez me payer. Oh ! ne vous défendez pas, ne niez pas. Il est, je ne le sais que trop, de ces professions fatales où l’homme et la probité semblent compter pour rien. Pourquoi m’offrir de l’argent ? Quelle raison avez-vous de me juger vil à ce point qu’on puisse acheter mes complaisances. Vous êtes donc comme les autres, qui ne sauraient se faire une idée de ce qu’est un homme dans ma position ! Si je voulais être riche, plus riche que vous, monsieur le juge de paix, je le serais dans quinze jours. Ne devinez-vous donc pas que je tiens entre mes mains l’honneur et la vie de cinquante personnes ? Croyez-vous que je dis tout ce que je sais ? J’ai là — et il se frappait le front — vingt secrets que je vendrais demain, si je voulais, cent mille francs pièce, et ce serait donné.

Il était indigné, on le voyait, mais sous sa colère on sentait une certaine résignation désolée. Bien des fois il avait eu à repousser des offres semblables.

— Allez donc, poursuivait-il, lutter contre un préjugé établi depuis des siècles. Allez donc dire qu’un agent de