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tre. Laurence y représentera l’élément romanesque et sentimental. Elle deviendra, elle, ma fille, une héroïne de cour d’assises. C’est elle qui intéressera, comme disent les lecteurs de la Gazette des Tribunaux. Les sténographes diront si elle a beaucoup rougi et combien elle a versé de larmes. C’est à qui s’efforcera de détailler au plus juste sa personne et de décrire ses toilettes et son maintien. Les journaux la rendront plus publique que la fille des rues, chaque lecteur aura quelque chose d’elle. Est-ce assez odieux ? Et après l’horreur, l’ironie. Les photographes assiégeront sa porte, et si elle refuse de poser, on voudra comme sien le portrait de quelque gourgandine. Elle voudra se cacher, mais où ? Quelles grilles, quels verrous peuvent mettre à l’abri de l’âpre curiosité ? Elle sera célèbre. Les limonadiers ambitieux lui écriront pour lui proposer une chaise à leur comptoir, et les Anglais spleeniques lui feront offrir leur main par M. de Foy. Quelle honte et quelle misère ! Pour qu’elle fût sauvée, M. Lecoq, il faudrait qu’on ne prononçât pas son nom. Je vous le demande : est-ce possible ? Répondez.

Le vieux juge de paix s’exprimait avec une violence extrême, mais simplement, sans ces phrases pompeuses de la passion, toujours emphatique quoi qu’on prétende. La colère allumait dans ses yeux des paillettes de feu, il était jeune, il avait vingt ans, il aimait et il défendait la femme aimée.

Comme l’agent de la sûreté se taisait, il insista :

— Répondez.

— Qui sait ? fit M. Lecoq.

— Pourquoi chercher à m’abuser ? reprit le père Plantat. N’ai-je pas, autant que vous, l’expérience des choses de la justice ? Si Trémorel est jugé, c’en est fait de Laurence. Et je l’aime ! Oui, à vous j’ose l’avouer, à vous je laisse voir l’immensité de mon malheur, je l’aime comme jamais je ne l’ai aimée. Elle est déshonorée, vouée au mépris, elle adore peut-être ce misérable dont elle va avoir un fils, qu’importe ? Tenez, je l’aime mille fois plus