Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/367

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le père Plantat avait caché son visage entre ses mains. Son cœur se brisait au souvenir de cette nuit d’angoisses, passée tout entière à attendre un homme pour le tuer.

M. Lecoq, lui, frémissait d’indignation.

— Mais ce Trémorel, s’écria-t-il, est le dernier des misérables. En vain on chercherait une excuse à ses infamies et à ses crimes. Et vous voudriez, monsieur, l’arracher à la cour d’assises, le soustraire au bagne ou à l’échafaud qui l’attendent !

Le vieux juge de paix fut un moment sans répondre.

Ainsi qu’il arrive dans les grandes crises, entre toutes les idées qui se pressaient tumultueuses dans son esprit, il ne savait laquelle présenter la première. Les mots lui semblaient impuissants à exprimer ses sensations. Il aurait voulu, en une seule phrase, traduire tout ce qu’il ressentait comme il le ressentait.

— Que me fait Trémorel ? dit-il enfin, est-ce que je me soucie de lui ! Qu’il vive ou qu’il meure, qu’il réussisse à fuir ou qu’il finisse un matin sur la place de la Roquette, que m’importe !

— Alors pourquoi cette horreur du procès ?

— C’est que…

— Êtes-vous l’ami de la famille, tenez-vous au grand nom qu’il va couvrir de boue et vouer à l’infamie ?

— Non, mais je m’inquiète de Laurence, monsieur, sa chère pensée ne me quitte pas.

— Mais elle n’est pas complice, mais elle ignore tout, tout nous le dit et nous l’affirme, elle ignore que son amant a assassiné sa femme.

— En effet, reprit le père Plantat, Laurence est innocente, Laurence n’est que la victime d’un odieux scélérat. Il n’en est pas moins vrai qu’elle sera plus cruellement punie que lui. Que Trémorel soit envoyé devant la cour d’assises, elle comparaîtra à ses côtés, comme témoin, sinon comme accusée. Et qui sait si on n’ira pas jusqu’à suspecter sa bonne foi ? On se demandera si vraiment elle n’a pas eu connaissance du projet de meurtre,