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voyages à Paris, à cette époque où je voulais pénétrer sa vie ! Je faisais votre métier ; j’allais questionnant tous ceux qui l’avaient connu, et mieux j’apprenais à le connaître, plus j’apprenais à le mépriser. C’est ainsi que j’ai découvert les rendez-vous avec miss Fancy, que j’ai deviné ses relations avec Berthe.

— Pourquoi n’avoir rien dit ?

— L’honneur me commandait le silence. Avais-je le droit de déshonorer un ami, de ruiner son bonheur, de perdre sa vie, au profit d’un amour grotesque et sans espoir. Je me suis tû, me bornant à parler de Fancy à Courtois qui ne faisait que rire de ce qu’il appelait une amourette. Pour dix paroles hasardées contre Hector, Laurence avait presque cessé de venir me visiter.

— Ah ! s’écria l’agent de la sûreté, je n’aurais eu, monsieur, ni votre patience ni votre générosité.

— C’est que vous n’avez pas mon âge, monsieur ! Ah ! je le haïssais cruellement ce Trémorel. En voyant trois femmes si différentes éprises de lui jusqu’à en perdre la tête, je me disais : « Qu’a-t-il donc pour être ainsi aimé ? »

— Oui ! murmura M. Lecoq, répondant à une pensée secrète, les femmes se trompent souvent, elles ne jugent pas les hommes comme nous les jugeons.

— Que de fois, continuait le vieux juge de paix, que de fois j’ai songé à provoquer ce misérable, à me battre avec lui, à le tuer. Mais Laurence n’aurait pas voulu me revoir. Pourtant, j’aurais parlé peut-être, si Sauvresy n’était tombé malade et n’était mort. Je savais qu’il avait fait jurer à sa femme et à son ami de s’épouser, je savais qu’une raison terrible les forçait à tenir leur serment, je crus Laurence sauvée. Hélas ! elle était perdue au contraire. Un soir, comme je passais le long de la maison du maire, je vis un homme qui pénétrait dans le jardin en franchissant le mur. Cet homme, c’était Trémorel, je le reconnus parfaitement. J’eus un mouvement de rage terrible, je me jurai que j’allais l’attendre et l’assassiner ; et j’attendis. Il ne ressortit pas cette nuit-là.