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individualité et m’efforce de revêtir la sienne. Je substitue son intelligence à la mienne. Je cesse d’être l’agent de la sûreté, pour être cet homme, quel qu’il soit.

Dans notre cas, par exemple, restant moi, je sais fort bien ce que je ferais. Je prendrais de telles mesures que je dépisterais tous les détectifs de l’univers. Mais j’oublie M. Lecoq pour devenir le comte Hector de Trémorel.

Recherchons donc quels ont dû être les raisonnements d’un homme assez misérable pour voler la femme de son ami et pour laisser ensuite empoisonner cet ami sous ses yeux.

Nous savons déjà que Trémorel a longtemps hésité avant de se résoudre au crime. La logique des événements, que les imbéciles appellent la fatalité, le poussait. Il est certain qu’il a envisagé le meurtre sous toutes ses faces, qu’il en a étudié les suites, qu’il a cherché tous les moyens de se soustraire à l’action de la justice. Toutes ses actions ont été combinées et arrêtées longtemps à l’avance, et ni la nécessité immédiate ni l’imprévu n’ont troublé ses réflexions.

Du moment où le crime a été décidé dans son esprit, il s’est dit : « Voici Berthe assassinée ; grâce à mes mesures on me croit tué aussi ; Laurence que j’enlève écrit une lettre où elle annonce son suicide ; j’ai de l’argent, que faut-il faire ? »

Le problème, je le crois du moins, est bien posé ainsi.

— Oui, parfaitement, approuva le père Plantat.

— Naturellement, Trémorel a dû choisir entre tous les systèmes de fuite dont il avait ouï parler, ou qui se présentaient à son imagination, celui qui lui semblait le plus sûr et le plus prompt.

A-t-il songé à s’expatrier ?

C’est plus que probable. Seulement, comme il n’est pas dénué de sens, il a compris que c’est à l’étranger surtout qu’il est malaisé de faire perdre sa piste. Qu’on quitte la France pour éviter le châtiment d’un délit ; rien