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saut du lit le vicomte de Commarin, accusé d’avoir assassiné la veuve Lerouge, il s’écria : « Je suis perdu. » Ils n’étaient pourtant coupables ni l’un ni l’autre. Mais l’un et l’autre, le noble vicomte et l’infime valet, égaux devant la terreur d’une erreur judiciaire possible, évaluant d’un coup d’œil les charges qui allaient les accabler, avaient eu un moment d’affreux découragement.

— Mais ce découragement ne persiste pas deux jours, fit M. Domini.

M. Lecoq ne répondit pas, il poursuivait s’animant à mesure que des exemples plus saisissants se présentaient à son esprit.

— Nous avons vu, monsieur, vous juge, moi humble agent de police, assez de prévenus pour savoir combien les apparences sont trompeuses, combien peu il faut s’y fier. Ce serait folie que de baser une appréciation sur l’attitude d’un accusé. Celui qui le premier a parlé du « cri de l’innocence » était un sot, tout comme celui qui prétend montrer la « pâle stupeur » du coupable. Ni le crime, ni la vertu, malheureusement, n’ont de voix ni de contenance particulières. La fille Simon, accusée d’avoir tué son père, s’est refusé obstinément à répondre pendant vingt-deux jours ; le vingt-troisième, on a découvert l’assassin. Quant à l’affaire Sylvain…

De deux coups légèrement frappés sur son bureau, le juge d’instruction interrompit l’agent de la sûreté.

Homme, M. Domini tient beaucoup trop à ses opinions ; magistrat, il est également obstiné, mais prêt aux derniers sacrifices d’amour-propre, si la voix du devoir se fait entendre.

Les arguments de M. Lecoq n’avaient entamé en rien le granit de sa conviction, mais ils lui imposaient l’obligation de s’éclairer sur-le-champ, de battre l’homme de la préfecture ou de s’avouer lui-même vaincu.

— Vous semblez plaider, monsieur ? dit-il à l’agent de la sûreté, et dans le cabinet du magistrat instructeur, il n’est pas besoin de plaidoirie. Il n’y a pas ici un avocat et un juge. Les mêmes intentions généreuses et honora-