Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/330

Cette page a été validée par deux contributeurs.

toyant cette fois, laisse-moi donc en paix et tâche de savoir qui te parle, je suis M. Lecoq.

L’effet du nom du policier célèbre fut magique sur un gaillard, employé quelques mois, comme auxiliaire dans les brigades volantes de la rue de Jérusalem.

Naturellement il tomba au port d’armes, et son attitude, aussitôt, devint respectueuse, comme celle du modeste fantassin qui, sous la redingote d’un épicier, trouverait son général.

Être traité de « mon garçon », tutoyé, brutalisé même par cet illustre, loin de l’offenser, le flattait presque. Il est de ces souples échines qui volent au-devant de certains gourdins.

D’un air ébahi et plein d’admiration, il murmurait :

— Quoi ! est-ce possible, M. Lecoq, vous, un pareil homme !

— Oui, c’est moi, mon garçon, mais console-toi, je ne t’en veux pas ; tu ne sais pas ton métier, mais tu m’as rendu service, tu as eu le bon esprit de m’apporter une preuve concluante de l’innocence de mon client.

Ce n’est pas sans un secret déplaisir que M. Domini vit cette scène. Son homme passait à l’ennemi, reconnaissant sans conteste une supériorité fixée et classée. L’assurance de M. Lecoq en parlant de l’innocence d’un prévenu, dont la culpabilité lui semblait indiscutable, acheva de l’exaspérer.

— Et quelle est cette fameuse preuve, s’il vous plaît ? demanda-t-il.

— Elle est simple et éclatante, monsieur, répondit M. Lecoq, s’amusant à outrer son air niais à mesure que ses déductions rétrécissaient le champ des probabilités. Sans doute, il vous souvient que, lors de notre enquête au château du Valfeuillu, nous trouvâmes les aiguilles de la pendule de la chambre à coucher arrêtées sur trois heures vingt minutes. Me défiant d’un coup de pouce perfide, je mis, vous le rappelez-vous ? la sonnerie de cette pendule en mouvement. Qu’advint-il ? Elle sonna onze coups. De ce moment, il fut patent pour nous que