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— Eh ! monsieur l’agent, fit-il, vous ne pouvez être partout à la fois. Je vous crois fort habile, mais je ne vous avais pas sous la main et j’étais pressé.

— Une fausse démarche est souvent irréparable.

— Rassurez-vous, j’ai envoyé un homme intelligent.

La porte du cabinet s’ouvrit au même moment, et l’émissaire annoncé par le juge d’instruction parut sur le seuil.

C’était un vigoureux homme d’une quarantaine d’années, à tournure soldatesque plutôt que militaire, portant moustache rude taillée en brosse, aux yeux luisants ombragés de sourcils touffus se rejoignant en bouquet formidable au-dessus du nez. Il avait l’air fûté plutôt que fin, et sournois encore plus que rusé, si bien que son seul aspect devait éveiller toutes sortes de défiances et mettre instinctivement en garde.

— Bonne nouvelle ! dit-il d’une grosse voix enrouée et brisée par l’alcool, je n’ai pas fait le voyage de Paris pour le roi de Prusse, nous sommes en plein sur la piste de ce gredin de Guespin.

M. Domini l’interrompit d’un geste bienveillant, presque amical.

— Voyons, Goulard, disait-il, — il s’appelle Goulard — procédons par ordre, s’il se peut, et méthodiquement. Vous vous êtes transporté, conformément à mes ordres au magasin des Forges de Vulcain ?

— Immédiatement au sortir du wagon, oui, monsieur le juge.

— Parfait. Y avait-on vu le prévenu ?

— Oui, monsieur, le mercredi 8 juillet, dans la soirée.

— À quelle heure ?

— Sur les dix heures, peu d’instants avant la fermeture du magasin, ce qui fait qu’il a été bien plus remarqué et bien mieux observé.

Le juge de paix remuait les lèvres, sans doute pour présenter une objection, un geste de M. Lecoq qui le regardait, l’index posé sur la bouche, l’arrêta.