Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/303

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Monsieur le juge de paix m’excusera, dit-il, pour ma part, je me fais très-bien une idée de l’infernale existence qui a commencé pour les empoisonneurs le lendemain de la mort de leur victime. Quels caractères ! Et vous nous les avez, monsieur, esquissés de main de maître. On les connaît après votre analyse comme si on les eût étudiés à la loupe pendant dix ans.

Il parlait fort délibérément, mais il cherchait en même temps l’effet de son compliment sur la physionomie du père Plantat.

— Où diable ce bonhomme a-t-il eu ces détails ? se demandait-il. Est-ce lui qui a rédigé ce mémoire, et, si ce n’est pas lui, qui ce peut-il être ? Comment, possédant de tels renseignements, n’a-t-il rien dit ?

M. Plantat ne voulut pas remarquer la muette interrogation de M. Lecoq.

— Je sais, dit-il, que le corps de Sauvresy n’était pas refroidi que déjà ses assassins en étaient à échanger des menaces de mort.

— Malheureusement pour eux, observa le docteur Gendron, Sauvresy avait prévu le cas où sa veuve aurait voulu utiliser le restant du flacon de verre bleu.

— Ah ! il était fort, fit Lecoq, d’un ton convaincu, très-fort.

— Berthe, continuait le père Plantat, ne pouvait pardonner à Hector de ne pas avoir pris le revolver qu’on lui tendait, et de ne pas s’être fait sauter la cervelle. Sauvresy avait encore prévu cela. Berthe s’imaginait que son amant mort son mari aurait tout oublié, et on ne peut dire si elle se trompait.

— Et le public n’a jamais rien su de l’horrible guerre intérieure.

— Le public n’a jamais rien soupçonné.

— C’est merveilleux !

— Dites, monsieur Lecoq, que c’est à peine croyable. Jamais dissimulation ne fut si habile, ni surtout si merveilleusement soutenue. Interrogez le premier venu des habitants d’Orcival, il vous répondra comme ce brave