XXI
Depuis plus de cinq minutes le vieux juge de paix avait achevé la lecture de son volumineux dossier, et ses auditeurs, l’agent de la sûreté et le médecin, subissaient encore l’impression de ce récit désolant.
Il est vrai que le père Plantat avait une façon de dire singulière et bien propre à frapper ceux qui l’écoutaient.
Il se passionnait en parlant comme si sa personnalité eût été en jeu, comme s’il eût été pour quelque chose dans cette ténébreuse affaire, et que ses intérêts s’y fussent trouvés engagés.
M. Lecoq, le premier, revint au sentiment de la situation.
— Un crâne homme, ce Sauvresy, dit-il. L’envoyé de la préfecture de police était tout entier dans cette exclamation.
Ce qui le frappait, dans cette affaire, c’était la conception extraordinaire de Sauvresy. Ce qu’il admirait, c’était son « bien jouer » dans une partie où il savait devoir laisser sa vie.
— Je ne connais pas, ajouta-t-il, beaucoup de gens capables d’une si effroyable fermeté. Se laisser empoisonner tout doucettement par sa femme, brrr… cela donne froid rien que d’y penser.
— Il a su se venger, murmura le docteur Gendron.
— Oui, répondit le père Plantat, oui, docteur, il a su se venger et plus terriblement encore qu’il ne le supposait et que vous ne sauriez l’imaginer.
Depuis un moment l’agent de la sûreté s’était levé. Pendant plus de trois heures, cloué sur son fauteuil par l’intérêt du récit, il était resté immobile et il sentait ses jambes engourdies.