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— Pourquoi voulez-vous ma mort ? continuait Sauvresy, pour être libres, pour vous marier ? Eh bien ! c’est là ce que je veux aussi. Le comte de Trémorel sera le second mari de Mme veuve Sauvresy.

— Jamais ! s’écria Berthe, non jamais !

— Jamais ! répéta Hector comme un écho.

— Cela sera pourtant, puisque moi je le veux. Oh ! mes précautions sont bien prises, allez, et vous ne sauriez m’échapper. Écoutez-moi donc : Dès que j’ai été certain du poison, j’ai commencé par écrire notre histoire très-détaillée à tous les trois ; j’ai de plus, tenu jour par jour, heure par heure, pour ainsi dire, un journal fort exact de mon empoisonnement ; enfin, j’ai recueilli du poison que vous me donniez…

Berthe eut un geste que Sauvresy prit pour une dénégation, car il insista :

— Certainement, j’en ai recueilli, et je puis même vous dire comment. Toutes les fois que Berthe me donnait une potion suspecte, j’en gardais une gorgée dans ma bouche, et fort soigneusement je crachais cette gorgée dans une bouteille cachée sous mon traversin.

Ah ! vous vous demandez comment j’ai pu faire toutes ces choses sans que vous vous en soyez doutés, sans qu’aucun domestique s’en soit aperçu ? Sachez donc que la haine est plus forte encore que l’amour, et que jamais l’adultère n’aura les perfidies de la vengeance. Soyez sûrs que je n’ai rien laissé au hasard, rien oublié.

Hector et Berthe regardaient Sauvresy avec cette attention fixe, voisine de l’hébêtement. Ils s’efforçaient de comprendre, ils ne comprenaient pas encore.

— Finissons-en, reprit le mourant, mes forces s’épuisent. Donc, ce matin même, cette bouteille contenant un litre environ de potion, votre biographie et la relation de mon empoisonnement ont été remises aux mains d’un homme sûr et dévoué que vous n’arriveriez pas à corrompre si vous le connaissiez. Rassurez-vous, il ignore la nature du dépôt. Le jour où vous vous marierez, cet ami vous rendra le tout. Si au contraire, d’aujourd’hui