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tant qu’un jour, après dix ans, après vingt ans d’expiation, tu me pardonneras.

C’est à peine si, dans son trouble mortel, Hector avait pu suivre cette scène. Mais aux gestes de Berthe, à son accent, à ses dernières paroles surtout, il eut comme une lueur d’espoir, il crut que peut-être tout allait être fini, oublié, que Sauvresy allait pardonner. Se soulevant à demi, il balbutia :

— Oui, grâce, grâce !

Les yeux de Sauvresy lançaient des éclairs, la colère donnait à sa voix des vibrations puissantes.

— Grâce ! s’écria-t-il, pardon !… Avez-vous eu pitié de moi pendant une année que vous vous êtes joués de mon bonheur, depuis quinze jours que vous mêlez du poison à toutes mes tisanes ! Grâce ? Mais vous êtes fous ? Pourquoi donc pensez-vous que je me suis tû en découvrant votre infamie, que je me suis laissé tranquillement empoisonner, que j’ai pris soin de dérouter les médecins ? Espérez-vous que j’ai agi ainsi uniquement pour préparer une scène d’adieux déchirants et vous donner à la fin ma bénédiction ? Ah ! connaissez-moi mieux !

Berthe sanglotait. Elle essaya de prendre la main de son mari, il la repoussa durement.

— Assez de mensonges, dit-il, assez de perfidies ! Je vous hais !… Vous ne sentez donc pas qu’il n’y a plus que la haine de vivante en moi !

L’expression de Sauvresy était atroce en ce moment.

— Voici bientôt deux mois, reprit-il, que je sais la vérité. Tout se brisa en moi, l’âme et le corps. Ah ! il m’en a coûté de me taire, j’ai failli en mourir. Mais une pensée me soutenait : je voulais me venger. Aux heures de répit, je ne songeais qu’à cela. Je cherchais un châtiment proportionné à l’offense. Je n’en trouvais pas, non, je ne pouvais en trouver, lorsque vous avez pris le parti de m’empoisonner. Le jour où j’ai deviné le poison, j’ai eu un tressaillement de joie, je tenais ma vengeance.

Une terreur toujours croissante envahissait Berthe et la stupéfiait autant que Trémorel.