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elle avait couru, amour, passion, poésie, elle les avait eues entre les mains, elle les avait tenues, et elle n’avait pas su s’en apercevoir. Mais où en voulait venir Sauvresy, quelle idée poursuivait-il ? Il continuait péniblement :

— Ainsi donc, voici notre situation : vous m’avez tué, vous allez être libres, mais vous vous haïssez, vous vous méprisez…

Il dut s’interrompre, il étouffait. Il essaya de se hausser sur ses oreillers, de s’asseoir sur son lit, il était trop faible.

Alors, il s’adressa à sa femme.

— Berthe, dit-il, aide-moi à me soulever.

Elle se pencha sur le lit, s’appuyant au dossier, et prenant son mari sous les bras, elle parvint à le placer comme il le désirait. Dans cette nouvelle position, il parut plus à l’aise, et à deux ou trois reprises, il respira longuement.

— Maintenant, fit-il, je voudrais boire. Le médecin m’a permis un peu de vin vieux, si fantaisie m’en prenait ; donne-moi trois doigts de vin vieux.

Elle se hâta de lui en apporter un verre, il le vida et le lui rendit.

— Il n’y avait pas de poison dedans ? demanda-t-il.

Cette question effrayante, le sourire qui l’accompagnait brisèrent l’endurcissement de Berthe.

Depuis un moment, avec son dégoût pour Trémorel, les remords en elle s’étaient éveillés et déjà elle se faisait horreur.

— Du poison ! répondit-elle avec violence, jamais !

— Il va pourtant falloir m’en donner tout à l’heure, pour m’aider à mourir.

— Toi ! mourir, Clément ! non ; je veux que tu vives pour que je puisse racheter le passé. Je suis une infâme, j’ai commis un crime abominable, mais tu es bon. Tu vivras ; je ne te demande pas d’être ta femme, mais ta servante, je t’aimerai, je m’humilierai, je te servirai à genoux, je servirai tes maîtresses si tu en as, et je ferai