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qu’on berne et qu’on bafoue. Cependant, je vous gênais encore. Il fallait à vos amours plus d’espace et de liberté. Vous étiez las de contrainte, excédés de feintes. Et c’est alors que, songeant que ma mort vous faisait libres et riches, vous avez chargé le poison de vous débarrasser de moi.

Berthe avait du moins l’héroïsme du crime. Tout était découvert, elle jetait le masque. Elle essaya de défendre son complice, qui restait anéanti dans un fauteuil.

— C’est moi qui ai tout fait, s’écria-t-elle, il est innocent.

Un mouvement de rage empourpra le visage pâle de Sauvresy.

— Ah ! vraiment, reprit-il, mon ami Hector est innocent ! Ce n’est donc pas lui, qui pour me payer — non la vie, il était trop lâche pour se tuer, mais l’honneur, qu’il me doit, — m’a pris ma femme ? Misérable ! Je lui tends la main quand il se noie, je l’accueille comme un frère aimé, et pour prix de mes services, il installe l’adultère à mon foyer… non cet adultère brillant qui a l’excuse de la passion et la poésie du péril bravé, mais l’adultère bourgeois, bas, ignoble, de la vie commune…

Et tu savais ce que tu faisais, mon ami Hector, tu savais — je te l’avais dit cent fois — que ma femme était tout pour moi, ici-bas, le présent et l’avenir, la réalité, le rêve, le bonheur, l’espérance, la vie, enfin ? Tu savais que, pour moi, la perdre, c’était mourir.

Si encore tu l’avais aimée ! Mais non, ce n’est pas elle que tu aimais. C’est moi que tu haïssais. L’envie te dévorait, et vraiment tu ne pouvais pas me dire en face : « Tu es trop heureux, rends-m’en raison ! » Alors, lâchement, dans l’ombre, tu m’as déshonoré. Berthe n’était que l’instrument de tes rancunes. Et aujourd’hui, elle te pèse, tu la méprises et tu la crains. Mon ami Hector, tu as été chez moi le vil laquais qui pense venger sa bassesse en souillant de sa salive les mets qu’il porte à la table du maître !