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et encore involontaire, forcée, imposée en quelque sorte par le soin de sa défense légitime.

Parfois, pourtant, d’amères répugnances lui montaient à la gorge. Il eût compris un meurtre soudain, violent, rapide. Il se fût expliqué le coup de couteau ou le coup de poignard. Mais cette mort lente, versée goutte à goutte, édulcorée de tendresses, voilée sous des baisers, lui paraissait particulièrement hideuse.

Il avait peur et horreur de Berthe, comme d’un reptile, comme d’un monstre. Si parfois ils se trouvaient seuls et qu’elle l’embrassât, il frissonnait de la tête aux pieds.

Elle était si calme, si avenante, si naturelle ; sa voix avait si bien les mêmes inflexions molles et caressantes, qu’il n’en revenait pas. C’était sans s’interrompre de causer qu’elle glissait son épingle à cheveux dans le flacon bleu, et il ne surprenait en elle, lui qui l’étudiait, ni un tressaillement, ni un frémissement, ni même un battement de paupières. Il fallait qu’elle fût de bronze.

Cependant il trouvait qu’elle ne prenait pas assez de précautions, elle pouvait être découverte, surprise. Il lui dit ses frayeurs, et combien elle le faisait frémir à tout moment.

— Ayez donc confiance en moi, répondit-elle ; je veux réussir, je suis prudente.

— On peut avoir des soupçons ?

— Qui ?

— Eh ! le sais-je ? tout le monde, les domestiques, le médecin.

— Il n’y a nul danger ? Et quand même !…

— On chercherait, Berthe, y songez-vous ? On descendrait aux plus minutieuses investigations.

Elle eut un sourire où éclatait la plus magnifique certitude.

— On peut chercher, reprit-elle, examiner, expérimenter, on ne retrouvera rien. Vous imagineriez-vous que j’emploie niaisement l’arsenic ?

— De grâce, taisez-vous !…

— J’ai su me procurer un de ces poisons inconnus en-