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malheur, de chasser purement et simplement sa femme et de la laisser manquer de tout.

Mais quelles pauvres, quelles misérables vengeances !

Livrer sa femme aux tribunaux ? N’est-ce pas, de gaîté de cœur, courir au-devant de l’opprobre, offrir son nom, son honneur, sa vie, à la risée publique ? N’est-ce pas se mettre à la merci d’un avocat qui vous traîne dans la boue. On ne défend pas la femme adultère, on attaque son mari, c’est plus commode. Et quelle satisfaction obtiendrait-il ? Berthe et Trémorel seraient condamnés à un an de prison, à dix-huit mois, à deux ans au plus.

Tuer les coupables lui semblait plus simple ; et encore ! Il entrerait, déchargerait sur eux un revolver, ils n’auraient pas le temps de se reconnaître, leur agonie ne durerait pas une minute ; et après ? Après, il lui faudrait se constituer prisonnier, subir un jugement, se défendre, invoquer l’indulgence du législateur, risquer une condamnation.

Quant à chasser sa femme, c’était la livrer bénévolement à Hector. Il devait supposer qu’ils s’adoraient, et il les voyait, quittant le Valfeuillu la main dans la main, heureux, riants, se moquant de lui, pauvre niais !

À cette pensée, il était pris d’accès de rage froide, tant il est vrai que les pointes aiguës de l’amour-propre ajoutent une douleur aux plus douloureuses blessures.

Aucune de ces vengeances vulgaires ne pouvait le satisfaire. Il voulait quelque chose d’inouï, de bizarre, d’excessif, comme l’offense, comme ses tortures.

Et il se reprenait à songer à toutes les histoires sinistres qu’il avait lues, cherchant un supplice applicable aux circonstances présentes. Il avait le droit d’être difficile, il était déterminé à attendre et, d’avance, il avait fait le sacrifice de sa vie.

Une seule chose pouvait renverser ses projets, la lettre arrachée à Jenny Fancy. Qu’était-elle devenue ? L’avait-il donc perdue dans les bois de Mauprévoir ? Il l’avait cherchée partout et ne l’avait pas retrouvée.

Il s’accoutumait, d’ailleurs, à feindre, trouvant comme