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si longtemps qu’elle le pétrissait comme la cire molle, que cette résistance inattendue la déconcerta. Elle était indignée, mais en même temps elle éprouvait cette satisfaction malsaine qui délecte certaines femmes lorsqu’elles rencontrent un maître qui les bat, et son amour pour Trémorel, qui s’en allait faiblissant, reprenait une nouvelle énergie.

Puis il avait trouvé cette fois des accents pour la convaincre. Elle le méprisait assez pour le supposer très-capable de se marier uniquement pour de l’argent.

Quand il eut terminé :

— C’est donc bien vrai, lui dit-elle, vous ne tenez qu’au million.

— Je vous l’ai juré cent fois.

— Vous n’aimez vraiment pas Laurence ?

— Berthe, ma bien-aimée, je n’ai jamais aimé, je n’aimerai jamais que vous.

Il pensait qu’ainsi, berçant Berthe de paroles d’amour, il parviendrait à l’endormir jusqu’au jour de son mariage. Et une fois marié, il se souciait bien, vraiment, de ce qui adviendrait. Que lui importait Sauvresy ! La vie de l’homme fort n’est qu’une suite d’amitiés brisées. Qu’est-ce, en somme, qu’un ami ? Un être qui peut et doit vous servir. L’habileté consiste précisément à rompre avec les gens, le jour où ils cessent de vous être utiles.

De son côté, Berthe réfléchissait.

— Écoutez, dit-elle enfin à Hector, je ne saurais là, froidement, me résigner au sacrifice que vous exigez. De grâce, laissez-moi quelques jours encore pour m’habituer au coup terrible. Attendez… vous me devez bien cela, laissez Clément se rétablir.

Il n’en revenait pas de la voir si facile et si douce. Qui se serait attendu à de telles concessions si aisément obtenues. L’idée d’un piége ne lui venait pas. Dans son ravissement, il eut un transport d’enthousiasme qui eût pu éclairer Berthe, mais qui passa inaperçu. Il lui prit la main et l’embrassa avec transport en disant :

— Ah ! vous êtes bonne, et vous m’aimez vraiment.