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— Je puis, pensait-il, gagner ma chambre sans être vu par le jardin et l’escalier de service. Elle me croit endormi, je serai revenu et couché avant son retour.

Aussitôt, sans se demander s’il n’était pas trop faible pour risquer le trajet, sans s’inquiéter du danger qu’il courait à s’exposer au froid, il se jeta à bas de son lit, passa une robe de chambre déposée sur une chaise, et, les pieds nus dans ses pantoufles, il se dirigea vers la porte. Il se disait :

— Si on vient, si on me rencontre, je mettrai tout sur le compte du délire.

La lampe du vestibule était éteinte, il eut quelque peine à ouvrir la porte. Il y réussit cependant et descendit dans le jardin.

Le froid était intense et il était tombé de la neige. Le vent agitait lugubrement les branches des arbres durcies par la gelée. La façade de la maison était sombre. Une seule fenêtre était éclairée, celle du comte de Trémorel, et elle l’était vivement, par une lampe sans abat-jour et par un grand feu clair.

Sur les rideaux de fine mousseline, se dessinait très-nettement, avec les contours les plus précis, l’ombre d’un homme, l’ombre d’Hector. Il était debout devant la croisée, le front appuyé contre une vitre.

Instinctivement Sauvresy s’arrêta pour regarder cet ami, qui dans sa maison était comme chez lui, et qui en échange de la plus fraternelle des hospitalités apportait le déshonneur, le désespoir, la mort.

Quelles réflexions le clouaient à cette fenêtre, le regard perdu dans les ténèbres ? Songeait-il à l’infamie de sa conduite ?

Mais il eut un mouvement brusque, il se retourna comme s’il eut été surpris par quelque bruit insolite. Qu’était-ce ?

Sauvresy ne le sut que trop. Une seconde ombre se dessina sur le léger rideau, l’ombre d’une femme, l’ombre de Berthe.

Et lui qui s’efforçait de douter quand même ! Des