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Mais quand Berthe avait-elle écrit ces cinq lignes ? Un soir, sans doute, après qu’ils s’étaient retirés dans la chambre conjugale. Il lui avait dit : « Je vais demain à Melun, » et aussitôt elle avait à la hâte griffonné ce billet et l’avait envoyé plié dans un livre à son amant.

Son amant ! Il prononçait ce mot tout haut, comme pour se l’apprendre, comme pour se bien convaincre de l’horrible réalité. Il disait :

— Ma femme, ma Berthe, a un amant !…

L’édifice de son bonheur qui lui avait paru solide à défier tous les orages de la vie s’écroulait, et il restait là, éperdu, au milieu des décombres.

Plus de bonheur, de joies, d’espérances, rien. Sur Berthe seule reposaient tous ses projets d’avenir, son nom était mêlé à tous ses rêves, ou plutôt elle était à la fois l’avenir et le rêve.

Il l’avait tant aimée, qu’elle était devenue quelque chose de lui, et qu’il ne pouvait se comprendre sans elle. Berthe perdue, il ne voyait aucun but vers lequel se diriger, il n’avait plus de raison de vivre.

Il sentait si bien que tout, en lui, était brisé qu’il eut l’idée d’en finir. Il avait son fusil, des balles, on attribuerait sa mort à un accident de chasse, et tout serait dit.

Oui, mais eux !

Ah ! Sans doute, continuant leur comédie infâme, ils feraient semblant de le pleurer, tandis qu’en réalité leur cœur déborderait de joie. Plus de mari, plus de contrainte, de ruses, de frayeurs. Son testament assurant toute sa fortune à Berthe, ils seraient riches. Ils vendraient tout, et ils s’en iraient gaîment s’aimer en liberté, bien loin, en Italie, à Venise, à Florence.

Quant à son souvenir, à lui, pauvre mari trop confiant, il resterait pour eux le souvenir d’un être ridicule, qu’on trompe, qu’on bafoue et qu’on méprise.

— Jamais ! s’écria-t-il, ivre de fureur, jamais ! Je veux me tuer, mais il faut auparavant que je me venge.

Mais il avait beau chercher, il ne trouvait aucun châ-