Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/248

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il n’était pas fou, malheureusement. Foudroyé par une catastrophe invraisemblable, inouïe, qui l’atteignait en plein bonheur, son cerveau avait été pour un moment frappé de paralysie. Mais il recueillait une à une ses idées éparses, et avec la faculté de penser, la faculté de souffrir lui revenait.

Il en est des crises morales comme des crises physiques. Aussitôt après un choc terrible qui fracture le crâne ou qui brise un membre, on ressent une douleur épouvantable, il est vrai, mais vague, mais indéterminée et que suit un engourdissement plus ou moins prolongé. C’est plus tard qu’on éprouve véritablement le mal : il va grandissant, redoublant d’intensité de minute en minute, poignant, intolérable, jusqu’au moment où il arrive à son apogée.

Ainsi chacune des réflexions de cet homme si malheureux augmentait sa mortelle angoisse.

Quoi ! c’était Berthe et Hector qui le trompaient, qui le déshonoraient. Elle, une femme aimée jusqu’à l’idolâtrie ; lui, son meilleur, son plus ancien ami. Une malheureuse qu’il avait arrachée à la misère, qui lui devait tout ; un gentilhomme ruiné qu’il avait ramassé le pistolet sur la tempe et qu’il avait recueilli ensuite.

Et c’est chez lui, sous son toit, que se tramait cette infamie sans nom. S’était-on assez joué de sa noble confiance, avait-il été assez misérablement pris pour dupe !

L’affreuse découverte empoisonnait non-seulement l’avenir, mais encore le passé.

Il eût voulu pouvoir rayer de sa vie, anéantir ces années écoulées près de Berthe, que la veille encore il appelait ses seules années de bonheur. Le souvenir de ses félicités d’autrefois emplissait son âme de dégoût, de même que la pensée de certains aliments soulève l’estomac.

Mais comment cela s’était-il fait ? Quand ? Comment ne s’était-il aperçu de rien ?

Mille détails lui revenaient à la mémoire qui eussent