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qui tout à coup avait afflué à la tête reprenait son cours, il y voyait.

C’était un billet de cinq lignes, il lut :

« N’allez pas demain à Petit-Bourg, ou plutôt revenez-en avant déjeuner. Il vient de me dire à l’instant qu’il lui faut aller à Melun et qu’il rentrera tard. Toute une journée ! »

Il… c’était lui. Cette autre maîtresse d’Hector, c’était sa femme, c’était Berthe.

Pour le moment, il ne voyait rien au-delà. Toute pensée en lui était anéantie. Ses tempes battaient follement, il entendait dans ses oreilles un bourdonnement insupportable, il lui semblait que l’univers s’abîmait avec lui.

Il s’était laissé tomber sur une chaise. De pourpre qu’il était, il était devenu livide ; le long de ses joues, de grosses larmes roulaient qui le brûlaient.

En voyant cette douleur immense, ce désespoir silencieux, en voyant cet homme de cœur foudroyé, Jenny comprit l’infamie de sa conduite. N’était-elle pas la cause de tout ? Le nom de la maîtresse d’Hector, elle l’avait deviné. En demandant une entrevue à Sauvresy, elle se proposait bien de lui tout dire, se vengeant ainsi à la fois et d’Hector et de l’autre. Puis, à la vue de cet homme d’honneur refusant de comprendre ses allusions, n’ayant pas l’ombre d’un soupçon, elle avait été saisie de pitié. Elle s’était dit que le plus cruellement puni, ce serait lui, et alors elle avait reculé, mais trop tard, mais maladroitement, et il lui avait arraché son secret.

Elle s’était approchée de Sauvresy et cherchait à lui prendre les mains, il la repoussa encore.

— Laissez-moi, disait-il.

— Monsieur, pardon, je suis une malheureuse, je me fais horreur.

Il se redressa tout d’une pièce, revenant peu à peu au sentiment de l’affreuse réalité.

— Que me voulez-vous ?

— Cette lettre, j’avais deviné…