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ris, dans les plis de sa robe, et, à ses bottines, de la boue des boulevards.

Jenny venait très-exactement toutes les semaines, et son amour pour Hector, loin de diminuer, semblait croître à chaque entrevue.

Peut-être ne s’expliquait-elle pas parfaitement tous ses sentiments. Les affaires de la pauvre fille tournaient assez mal. Elle avait acheté son fonds bien trop cher et son associée, au bout d’un mois avait décampé, lui emportant trois mille francs. Elle n’entendait rien au commerce qu’elle avait entrepris et on la volait sans pudeur de tous les côtés.

Elle ne disait rien de ses soucis à Hector, mais elle comptait bien lui demander de lui venir en aide. C’était bien le moins qu’il pût faire, après l’immense sacrifice auquel elle s’était résignée pour lui.

Dans les commencements, les habitués du Valfeuillu s’étonnèrent un peu de la continuelle présence de ce grand jeune homme qui traînait comme un boulet son désœuvrement, puis ils s’accoutumèrent à lui.

Hector avait fini par se composer une physionomie mélancolique, ainsi qu’il convient à un être éprouvé par des malheurs inouïs et pour lequel la vie a menti à ses promesses. Il paraissait inoffensif, on l’adopta. On disait :

— Le comte de Trémorel est d’une simplicité charmante.

Mais il avait, à certains moments, lorsqu’il était seul, des retours soudains et terribles. — « Cette vie ne peut durer, » pensait-il ; et des rages puériles le transportaient, s’il venait à comparer le passé au présent.

Comment secouer cette morne existence, comment se délivrer de tous ces gens étroits comme la morale, plus plats que la réalité, qui l’entouraient, qui étaient les amis de Sauvresy ?

Mais où fuir, où se réfugier ? La tentation de reparaître à Paris ne lui venait pas. Et d’ailleurs, qu’y ferait-il ? Son hôtel avait été vendu à un ancien marchand de cuirs