Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/216

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Bientôt miss Fancy parut.

Sa douleur, sa joie, ses émotions ne l’avaient pas empêchée de songer à sa toilette, et jamais elle n’avait été plus tapageusement élégante et jolie. Elle portait une robe vert d’eau avec une traîne d’un demi-mètre, un manteau de velours qui n’en finissait plus et un de ces chapeaux nommés « chapeaux à accidents » parce qu’ils font cabrer les chevaux de fiacre sur le boulevard.

Dès qu’elle aperçut Hector, resté debout près de la porte de sortie, elle poussa un cri, écarta brusquement les gens qui se trouvaient sur son passage et courut se pendre à son cou, riant et pleurant tout à la fois.

Elle parlait très-haut, avec des gestes que sa toilette faisait paraître plus désordonnés, et tout le monde pouvait l’entendre.

— Tu ne t’es donc pas tué, disait-elle, comme j’ai souffert, mais quel bonheur aujourd’hui !

Trémorel, lui, se débattait de son mieux, tâchant de calmer les bruyantes démonstrations de Fancy, la repoussant doucement, enchanté et irrité tout ensemble, et exaspéré de tous ces gros yeux fixés sur lui, en Parisien habitué à passer inaperçu au milieu de la foule.

C’est qu’aucun des voyageurs ne sortait. Ils restaient tous là, béants, regardant, attendant. On les regardait, on les entourait, on faisait cercle, on était sur eux.

— Allons, viens ! fit Hector à bout de patience.

Et il l’entraîna, espérant échapper à cette curiosité naïve et imprudente de désœuvrés pour qui tout est une distraction.

Mais ils n’y échappèrent pas. On les suivit de loin. Même quelques habitants de Corbeil, montés sur l’impériale de l’omnibus qui fait le service entre la gare et le chemin de fer, prièrent le conducteur d’aller au pas afin de ne pas perdre de vue ces singuliers étrangers. Et ce n’est que lorsqu’ils eurent disparu sous le porche de l’hôtel que la voiture prit le trot.

Ainsi furent déconcertées les prévisions de Sauvresy. L’entrée trop triomphale de Jenny fit sensation. On s’in-