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il prétexta un malaise pour ne pas manger et qu’il fit remarquer à Sauvresy qu’il allait manquer le train.

Comme la veille, Berthe accoudée à sa fenêtre, les regardait s’éloigner.

Si grand était son trouble depuis quarante-huit heures qu’elle ne se reconnaissait plus elle-même. Déjà elle en était à n’oser plus ni réfléchir ni descendre au fond de son cœur. Quelle puissance mystérieuse possédait-il donc, cet homme, pour être entré ainsi violemment dans sa vie ! Elle souhaitait qu’il s’éloignât pour ne plus revenir jamais, et en même temps elle s’avouait qu’en partant il emporterait sa pensée tout entière. Et elle se débattait sous le charme, ne sachant si elle devait se réjouir ou s’affliger des inexprimables émotions qui l’agitaient, s’irritant de subir une domination plus forte que sa volonté.

Elle avait décidé que, ce jour-là, elle descendrait au salon. Il ne manquerait pas — ne fût-ce que par politesse — d’y descendre, et alors elle pensait que le voyant de plus près, le faisant causer, le connaissant mieux, son prestige s’évanouirait.

Sans doute il allait revenir, et elle guettait son retour, prête à descendre dès qu’elle le verrait au détour du chemin d’Orcival.

Elle l’attendait avec des frémissements fébriles, anxieuse comme on l’est au moment d’une lutte, sentant bien que ce premier tête à tête, en l’absence de son mari, serait décisif.

Mais le temps passait. Il y avait plus de deux heures qu’il était sorti avec Sauvresy et il ne reparaissait pas. Où pouvait-il être ?

En ce moment même, Hector arpentait la salle d’attente du chemin de fer de Corbeil, attendant miss Fancy.

Enfin, il se fit, dans la gare, un grand remue ménage. Les employés couraient, les hommes d’équipe traversaient la voie roulant des brouettes, les portes s’ouvraient et se refermaient bruyamment. Le train arrivait.