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plus calme, de ma vie, je le jure, je n’y remettrai les pieds.

— Soit, tant mieux, reste avec nous, ce n’est pas moi qui m’en plaindrai, ni ma femme non plus, et un beau jour nous te trouverons une héritière dans les environs.

Elle fit, de la tête, sans lever les yeux, un signe affirmatif.

— Allons, reprit Sauvresy, il est temps que je parte si je veux ne pas manquer le chemin de fer.

— Mais je t’accompagne à la gare, fit vivement Trémorel.

Ce n’était pas de sa part une prévenance purement amicale. Il voulait prier son ami de s’informer des objets restés au mont-de-piété de la rue de Condé, et aussi lui demander de passer chez miss Fancy.

De la fenêtre de sa chambre, Berthe suivait les deux amis qui, bras dessus bras dessous, remontaient la route d’Orcival.

Quelle différence, pensait-elle, entre ces deux hommes ! Mon mari disait, tout à l’heure, qu’il voulait être l’intendant de son ami ; il n’a que trop l’air, en effet, de son intendant.

Quelle démarche vraiment noble a le comte, quelle aisance gracieuse, quelle distinction suprême ! Et cependant, mon mari, j’en suis sûre, le méprise, parce qu’il s’est ruiné à faire des folies. Ah ! que n’est-il, lui-même, capable d’en faire. Il affectait, j’ai cru m’en apercevoir, certains airs de protection. Pauvre garçon !

Mais est-ce que tout chez M. de Trémorel n’annonce pas une supériorité innée ou acquise, tout, jusqu’à son prénom : Hector ! Comme il sonne, ce nom ! Et elle prenait plaisir à le répéter avec des intonations différentes : Hector ! Hector ! Mon mari, lui, s’appelle Clément !…

M. de Trémorel revenait seul du chemin de fer, gai comme un convalescent à ses premières sorties.

Dès que Berthe l’aperçut, elle quitta vivement la fenêtre. Elle voulait rester seule, réfléchir à cet événement