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Hector eut un geste superlativement dédaigneux.

— Je n’en sais, ma foi ! rien, répondit-il.

— Quoi ! pas même vaguement ?

— Oh ! si fait. Par exemple, je dois entre cinq et six cent mille francs à la maison Clair ; à Dervoy, cinq cent mille francs ; pareille somme à peu près aux Dubois d’Orléans…

— Et ensuite ?

— Mes souvenirs précis s’arrêtent là.

— Mais tu as bien au moins quelque part un carnet sur lequel tu inscrivais le chiffre de tes emprunts successifs ?

— Non.

— Au moins tu as conservé des titres, des états d’inscription, les grosses de tes diverses obligations ?

— Rien. J’ai fait hier matin une flambée de toutes mes paperasses.

Le châtelain du Valfeuillu fit un bond sur sa chaise. De telles façons d’agir lui semblaient monstrueuses ; il ne pouvait pas supposer qu’Hector posait. Il posait cependant, et cette affectation d’ignorance absolue était une suprême fatuité de viveur et de bon ton. Se ruiner sans savoir comme, est très-noble, très-distingué, très-ancien régime.

— Mais malheureux, s’écria Sauvresy, comment m’y prendre pour nettoyer ta position.

— Eh ! ne la nettoie pas ; fais comme moi, laisse agir mes créanciers, ils sauront bien se débrouiller, sois tranquille ; laisse-les mettre mes biens en vente…

— Jamais ! si on arrive à une vente aux enchères, tu es absolument ruiné.

— Bast ! un peu plus ou un peu moins !

Quel sublime désintéressement, pensait Berthe, quelle insouciance, quel mépris admirable de l’argent, quel noble dédain des détails mesquins et petits qui agitent le vulgaire !

Sauvresy serait-il capable d’un pareil détachement ?

Certes, elle ne pouvait l’accuser d’avarice, il devenait