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— Monsieur, balbutia-t-elle, monsieur, croyez… du moment où mon mari… soyez le bienvenu.

C’est que ce nom de Trémorel, qui éclatait là tout à coup dans son salon, elle le connaissait bien. Sans compter que Sauvresy le lui avait appris, elle l’avait épelé dans les journaux, tous ses amis des châteaux voisins l’avaient prononcé.

Dans son esprit, d’après ce qu’elle avait lu ou entendu dire, celui qui le portait devait être un personnage immense, presque surnaturel. C’était, lui avait-on dit, un héros d’un autre âge, un fou, un viveur à outrance.

C’était un de ces hommes dont la vie épouvante le vulgaire, que le bourgeois idiot juge sans foi ni loi, dont les passions exorbitantes font éclater le cadre étroit des préjugés. Un de ces hommes qui dominent les autres, qu’on redoute, qui tuent pour un regard de travers, qui sèment l’or d’une main prodigue, dont la santé de fer résiste à d’effroyables excès, qui conduisent de la même cravache leurs maîtresses et leurs chevaux, les plus belles et les plus extravagantes créatures de Paris, les plus nobles bêtes de l’Angleterre.

Souvent, dans ses rêveries désespérées, elle avait cherché à imaginer ce que pouvait être ce redoutable comte de Trémorel. Elle parait des qualités qu’elle lui supposait, les héros au bras desquels elle s’enfuyait, bien loin de son mari, au pays des aventures. Et voilà que tout à coup il lui apparaissait.

— Donne donc la main à Hector, dit Sauvresy.

Elle tendit sa main, Trémorel la serra légèrement, et à ce contact il lui sembla qu’elle recevait la secousse d’une batterie électrique.

Sauvresy s’était jeté sur un fauteuil.

— Vois-tu bien, Berthe, disait-il, notre ami Hector est épuisé par la vie qu’il mène ; on le serait à moins. On lui a ordonné du repos, et ce repos il vient le chercher ici, près de nous.

— Mais, mon ami, répondait Berthe, ne crains-tu pas que monsieur le comte ne s’ennuie un peu ici ?