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non pour obéir, pour être le maître et non l’esclave.

Elle aurait, à tout prendre, préféré un de ces maris qu’on guette à la fenêtre, qui rentrent au milieu de la nuit, chauds encore de l’orgie, ayant perdu au jeu, ivres, et qui, si on se plaint, frappent. Des tyrans, mais des hommes.

Quelques mois après son mariage, tout à coup, elle se mit à avoir les fantaisies les plus absurdes, les caprices les plus extravagants. C’était une épreuve.

Elle voulait voir jusqu’où irait la complaisance inaltérable de son mari ; elle pensait le lasser. Ce fut elle qui se lassa, furieuse de n’avoir rencontré ni une résistance ni une objection.

Être sûre de son mari, mais sûre absolument ; savoir qu’on emplit assez son cœur pour qu’il n’y ait aucune place pour une autre ; n’avoir rien à redouter, pas même un entraînement ou un caprice d’un jour, lui paraissait désolant, intolérable. À quoi bon être belle alors, spirituelle, jeune, coquette à faire tourner toutes les têtes ?

Peut-être l’aversion de Berthe datait-elle de plus loin.

Elle se connaissait et s’avouait que, pour peu que Sauvresy l’eût voulu, elle eût été sa maîtresse et non pas sa femme. Il n’avait qu’à vouloir, l’honnête homme, l’imbécile !…

Elle s’ennuyait tant, chez son père, égratignant jusqu’au sang toutes ses vanités aux épines de la misère, que sur une promesse d’un bel appartement et d’une voiture à Paris, elle serait partie sans seulement retourner la tête pour envoyer un dernier adieu au toit paternel.

Une voiture !… elle aurait décampé pour bien moins. L’occasion seule avait manqué à ses instincts. Et elle méprisait son mari de ce qu’il ne l’avait pas assez méprisée !

Sans cesse, cependant, on lui répétait qu’elle était la plus heureuse des femmes. Heureuse ! Et il y avait des jours où elle pleurait en songeant à son mariage.

Heureuse ! Mais il y avait des instants où elle se sen-