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écœurante insipidité. N’était-ce pas toujours les mêmes plaisirs fades, revenant dans un certain ordre monotone selon les saisons ! On recevait ou on allait dans le monde, on montait à cheval, on chassait, on se promenait en voiture. Et ce serait toujours ainsi !

Ah ! ce n’était pas là une vie telle qu’elle l’avait rêvée. Elle était née pour des jouissances plus vives et plus âpres. Elle avait soif d’émotions et de sensations inconnues, souhaitant l’incertitude de l’avenir, l’imprévu, les transitions brusques, des passions, des aventures, bien d’autres choses encore.

Puis, Sauvresy lui avait déplu dès le premier jour, et sa secrète aversion allait grandissant à mesure qu’elle devenait plus sûre de son empire sur lui.

Elle le trouvait commun, vulgaire, ridicule. Il ne posait jamais et elle prenait pour de la niaiserie la parfaite simplicité de ses manières. Elle l’examinait, et elle ne lui voyait aucun relief où accrocher une admiration. S’il parlait, elle ne l’écoutait pas, ayant depuis longtemps décidé dans sa sagesse qu’il ne pouvait rien dire que d’ennuyeux ou de banal.

Elle lui en voulait de ce qu’il n’avait pas eu une de ces jeunesses orageuses qui épouvantent les familles. Elle lui reprochait de n’avoir pas vécu.

Il avait cependant fait comme les autres, tant bien que mal. Il était allé à Paris, autrefois, et avait essayé le genre de vie de son ami Trémorel. Au bout de six mois il en avait par-dessus les yeux et revenait bien vite au Valfeuillu, se reposer de jouissances si laborieuses. L’expérience lui coûtait cent mille francs, et il ne regrettait pas, disait-il, d’avoir, à ce prix, étudié ce qu’est au juste la « vie de plaisir. »

Berthe était excédée encore de l’adoration perpétuelle et sans bornes de Sauvresy. Elle n’avait qu’à souhaiter, pour être à l’instant obéie, et cette soumission aveugle à toutes ses volontés lui paraissait de la servilité chez un homme.

Un homme, se disait-elle, est né pour commander et