Page:Gaboriau - Le Crime d’Orcival, 1867.djvu/189

Cette page a été validée par deux contributeurs.

à s’exalter, à se monter au niveau du courage dont il allait avoir besoin ; il n’y réussissait pas.

Pendant le dîner, et depuis qu’il était au café, il avait prodigieusement bu ; à tout autre moment il eût été ivre, mais l’alcool, loin de lui donner sa folie passagère, lui tournait sur l’estomac et l’anéantissait.

Il était là, à sa table, le front entre ses mains, lorsqu’un garçon qui traversait la salle lui tendit un journal.

Machinalement il le prit, l’ouvrit et lut :

« Au moment de mettre sous presse, on nous apprend la disparition d’un personnage bien connu qui aurait, ajoute-t-on, annoncé son intention formelle de se suicider.

Si étranges sont les faits qu’on nous raconte, que, n’ayant pas le temps d’aller aux renseignements, nous renvoyons les détails à demain. »

Ces quelques lignes éclatèrent comme des obus dans le cerveau du comte de Trémorel.

C’était son arrêt de mort, sans sursis, signé par ce tyran dont, pendant des années, il avait été l’assidu courtisan : l’opinion.

— On ne cessera donc jamais de s’occuper de moi ! murmura-t-il avec une rage sourde — et sincèrement pour la première fois de sa vie.

Puis, résolûment, il ajouta :

— Allons, il faut en finir.

Cinq minutes plus tard, en effet, muni d’un livre et de quelques cigares, il frappait à la porte de l’hôtel du Luxembourg.

Conduit par le domestique à la meilleure chambre de la maison, il fit allumer un grand feu et demanda de l’eau sucrée et tout ce qu’il fallait pour écrire.

Sa résolution à ce moment était aussi inébranlable que le matin.

— Il n’y a plus à hésiter, murmurait-il, il n’y a plus à reculer.

Il s’assit devant la table, près de la cheminée, et d’une