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— J’ai encore…

Il s’arrêta, inspectant ses poches, comptant l’or de son porte-monnaie, ce qui ne lui était jamais arrivé.

— Ma foi ! il me reste trois cent quarante francs, c’est bien plus qu’il ne me faut, aussi, avant de partir, je veux donner dix louis à tes domestiques, ils m’ont bien servi.

— Et que deviendras-tu après ! mon Dieu ?

Il se posa sur sa chaise, caressant négligemment sa belle barbe, et ajouta :

— Je vais me brûler la cervelle.

— Oh ! s’écria-t-elle effrayée.

Hector supposa que la jeune femme doutait. Il sortit de sa poche ses petits pistolets à crosse d’ivoire, et les lui montrant :

— Tu vois, lui dit-il ces joujoux ? Eh bien, en te quittant, je vais aller quelque part, n’importe où, j’appuierai les canons comme cela, sur mes tempes, — il faisait le geste — je presserai la détente, et tout sera dit.

Elle le regardait, la pupille dilatée par l’épouvante, pâle, le sein ému.

Mais en même temps elle l’admirait. Elle était émerveillée de tant de courage, de ce calme, de cette insouciance railleuse. Quel dédain superbe de la vie ! Dévorer sa fortune et se tuer après, sans cris, sans pleurs, sans regrets, lui paraissait un acte d’héroïsme inouï, sans exemple, sans pareil. Et, dans son extase, il lui semblait que devant elle se dressait un homme nouveau, inconnu, beau, radieux, éblouissant. Elle se sentait prise pour lui de tendresses infinies ; elle l’aimait comme jamais elle n’avait aimé, en elle s’éveillaient des ardeurs ignorées.

— Non ! s’écria-t-elle, non ! cela ne sera pas.

Et, se levant brusquement, elle bondit jusqu’à Hector.

Elle s’était suspendue au cou de son amant, et la tête rejetée en arrière pour le bien voir, pour plonger ses yeux dans les siens, elle continuait :

— Tu ne te tueras pas, n’est-ce pas ? tu me le pro-