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Le café servi, Hector jugea le moment opportun pour parler.

— Tout ceci, mon enfant, dit-il, n’est qu’une préface destinée à te préparer à une nouvelle assez surprenante. Donc, tu sauras que je suis ruiné.

Elle le regarda ébahie, paraissant ne pas comprendre.

— J’ai dit ruiné, insista-t-il en riant très-fort, tout ce qu’il y a de plus ruiné, ruiné à plates coutures.

— Ah ! tu veux te moquer de moi, tu plaisantes !…

— Jamais je n’ai parlé si sérieusement, reprit Hector. Cela te semble invraisemblable, n’est-ce pas ? Eh bien ! c’est pourtant très-vrai.

Les grands yeux de Jenny interrogeaient toujours.

— Que veux-tu, continua-t-il avec une superbe insouciance, la vie est comme une grappe de raisin qu’on mange lentement grain à grain ou dont on exprime le suc dans un verre pour le boire d’un trait. J’ai choisi la seconde méthode. Ma grappe à moi se composait de quatre millions, ils sont bus. Je ne les regrette pas, j’ai eu de la vie pour mon argent. Mais à présent, je puis me flatter d’être aussi gueux que n’importe quel gueux de France. Tout à cette heure est saisi chez moi, je suis sans domicile, je n’ai plus le sou.

Il parlait, il parlait, s’animant au choc des pensées diverses qui se pressaient tumultueusement dans son cerveau, s’exaltant au cliquetis des mots.

Et il ne jouait pas la comédie. Sa bonne foi était complète, intacte, entière. Il ne songeait même pas à se trouver bien.

— Mais… alors… hasarda miss Fancy…

— Quoi ? tu te trouves libre ? Cela va sans se dire.

Elle ne savait trop encore si elle devait s’affliger ou se réjouir.

— Oui ! déclara-t-il, je te rends ta liberté.

Jenny eut un geste sur lequel Hector se méprit.

— Oh ! mais, sois tranquille, ajouta-t-il vivement je ne te quitte pas ainsi, je ne veux pas que demain tu te